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Le Deuil Septentrional

exercice de licence à partir de la première phrase d'un roman - Lovecraft Dagon

 

C’est dans un état bien particulier que j’écris ces mots puisque cette nuit je ne serais plus. Alors c’est à ces heures perdues que je déverse mon sanglot. Pourquoi devrais-je partir? Il est encore trop tôt. Je n'ai pas assez joué de vos défauts, je n'ai pas assez entendu vos rires. Ô fruit de mon âme, la chair de mes boyaux, écoutez donc les propos qu'infirme je vous déclame. Dites-moi ! Oh mais dites moi pourquoi ce soir je vous perds, vous qui aviez l'air de trouver par la foi de quoi vous satisfaire. N'étiez-vous donc pas heureux, n'étiez-vous donc point libérés, quand vous leviez les yeux, quand vous réalisiez, que quelque part dans les cieux, j'étais là pour vous protéger ? Je vous croyais semblables aux idées qui brillent, tant il est admirable de les admirer sous le soleil jonquille…

 

Ce matin je me suis levé le cœur lourd, le ciel était blanc, il avait neigé. Je suis resté une heure, ou peut-être dix, à chercher dans mes pensées quelque chose que je ne trouverais pas. Alors j'ai allumé mon poste de télévision et j'ai entendu que les coups de feu de la veille continuaient. Rien n’est jamais fini. La guerre, encore la guerre. Elle cesse pour se raviver en de plus fermes serments. Et moi je reste passif, je ne me bats pas, je n’ai rien à défendre. Pourtant cette guerre je la vis comme si elle perçait mon bonheur depuis ma naissance. Et aujourd’hui elle m’atteint davantage.

J'ai passé la journée dans mon lit; et de temps en temps je regardais par la fenêtre les passants qui déambulaient telles des poupées vides dans la rue de Garibaldi. Moi aussi je me sens vide.. Aujourd'hui a comme un air d'enterrement. Je n'arrive pas à me dégager de cette charge que j'ai sur le cœur. Cette charge tellement paisible et affreuse, comme un oiseau mort d'amour. Mais qu'est-ce qui me prend ce matin d'avoir le cœur lourd?

 

Je voulais votre bien, mais vous êtes pareils à ces nourrissons qui soudain, quittez la maison en oubliant le chemin. N’ai-je donc plus de reconnaissance ? N’ai-je donc plus d’importance ? Vous ne pouvez pas m’oublier, moi qui vous ai portés !

Vous n’en ferez rien, on avait un marché. Je vous ai offert un destin, de votre affection vous deviez m’héberger. Si vous décidez de vivre sans moi, vous ne vivrez plus. Si vous pensez que vous avez trop vécu, laissez-moi au moins un toit. Vous ne pouvez pas, vous n’avez pas ce droit ; et moi je serais perdu, vous n’avez pas le choix ! Accordez-nous ce pardon ! prenez en pitié mon aveu ! Il suffit que nous soyons heureux, il suffit que nous nous aimions !

Mais vous ne savez pas aimer. Vous fermez vos bras.. Comment ai-je pu me projeter dans ce que vous n’avez pas…

 

 

Je n’ai envie de rien, j’aimerais que tout s’arrête. Je me sens laid. C’est une de ces journées où l’on voudrait ne jamais être né. Moi qui avais tant d’espérances dans l’humanité, je m’aperçois qu’elle se transforme en dégoût. Pourquoi ce matin ? Pourquoi pas hier ? Pourquoi pas demain ? C’est aujourd’hui que ma foi s’échappe, c’est aujourd’hui que j’ai décidé d’arrêter d’attendre des autres qu’ils trouvent la paix, d’attendre des lobbyistes qu’ils cessent de bombarder les champs de poison en spray, d’attendre des terroristes qu’ils cessent d’asperger les villes de pluies de cendres. Aujourd’hui j’arrête tout, aujourd’hui je deviens comme la glace qui ronge ces scorpions dans le sable.

 

 

Vous êtes comme ces sages, plein d’arrogance et d’estime, qui balayent sur leur passage l’ignorance légitime. Je vous hais, rejetons de l’Age de fer , moi qui étais votre fierté voilà que vous me jetez en enfer ? Comment osez-vous me chasser de votre mémoire, vous qui en moi aviez tant d’espoirs ? Qu’ai-je donc fais de si terrible ? Pourquoi mon existence vous est si nuisible ?

Ma plaidoirie ne me sauvera pas, mais je suis toujours votre roi ! Et si je ne puis persister dans vos esprits agités, alors de mon éclat vous serez frappés !

 

 

Il est dix huit heures, ça fait maintenant dix heures que je consume une angoisse étrangère. J’ai le vague à l’âme, je dois m’allonger et tenter d’oublier. Alors je décide de fermer les yeux, et soudain mon cœur se gonfle. C’est une bombe qui grince, j’ai la nausée. Je me lève, je me rassois, je sens mes palpitations se perdre dans les tic tacs d’une horloge voisine. Et là, elle explose. Et tout se passe si vite, mes membres convulsent, mes doigts s’agitent, je suis furieux, je cours et je détruis tout sans que je ne touche quoi que ce soit, la vitre se fend et le vent s’invite dans ma chambre, tout tourne, tout tombe. Je sens que ça monte, je sens mon sang bouillir dans mes pieds, dans mes jambes, dans mon estomac, dans mon foie, dans ma gorge et je crie, je crie toute mon énergie, et là, en ce moment précis où ma colère atteint son paroxysme, j’entends celle des autres. Toute la ville hurle, et l’on ne distingue rien du cri de l’enfant ni de celui du grand-père, cela résonne comme si cela provenait à la fois de l’enfer et du paradis, mais en aucun cas de la Terre.

 

 

Je suis fou, je suis enragé contre vous. Je vous en veux, je vous en veux si fort ! Cependant je m’en veux plus encore..

Mais qu’avons-nous fait ? Mes tendres moitiés, voilà que je vous accuse. J’en suis navré, je m’en excuse. Vous dire au revoir ne m’est pas si douloureux, c’est votre À Dieu que je ne veux pas recevoir. Je vous aime tant… Je vous aime suffisamment.

 

 

Il pleut. Le ciel est maintenant noir. Le temps se rapproche. Les pies ne volent plus.

Ma colère se dissipe et laisse place aux nuages. Je suis debout, je n’ai pas la force de m’asseoir. Je n’ai plus rien, ni d’énergie, ni de pensée. J’entends l’humidité de mes yeux qui perlent. Je regarde mes mains, elles sont pleines de poussières. Les débris de ma chambre n’ont pas de forme, mais je les vois comme les pas de ces Cavaliers, aussi engagés que le rouge, aussi macabres que le vert.

 

 

Pourquoi se battre, pourquoi s’acharner ? C’est vous qui tenez les cartes de ma destinée. Ainsi je laisserai le vent me porter, comme il supporte les blessés. C’est toute ma confiance que je vous donne, si c’est l’exécution de ma personne que l’on ordonne, je tirerai ma révérence.

 

Petit être fragile qui ne comprend rien, et vous si habiles qui m'avaient pris par la main... Petit être humain qui se croit utile, et vous si divins qui rendiez mon salut tranquille...

Il le faut, je le sais, reprendre ce poids égoïste qui toujours vous attriste lorsque se fane votre paix. Je serais semblable à l'abeille qui, quand la fleur se rendort, jamais ne la réveille pour qu'elle oublie le remords.

Je vous laisse, plein d'espoir et de quiétude,

Je vous laisse et sombre dans le noir de la solitude...

 

 

Je me sens presque renaître, comme si un cocon fumant se brisait autour de moi. Je suis seul et je suis bien. Le monde change et je change aussi, peut-être pour le meilleur, sûrement pour le monde.

Mais qu'est-ce qu'il m'arrive?

Déjà le soleil tombe, pourtant il s'est levé il y a un instant. Et dehors les gens dansent comme s'ils déversaient le drame de l'Histoire. Aujourd'hui commence une ancienne romance.

Mais qu'est-ce qui se passe?

Un silence verbeux, un vide remplit d'envies. C'est aujourd'hui que mon cœur s'apaise et que mon âme s'envole.

Est-ce que je meurs?

 

L'horizon derrière ma vitre est comme un sourire, et je crois que les étoiles trinquent. C'est peut-être un ange qui fait sa valise, ou c'est peut-être Dieu qui se repose enfin.

Dieu... Dieu... Je voudrais répéter ce mot comme s'il m'appartenait, comme s'il était au cœur de tout, comme s'il était enfoui en moi. Dieu...Dieu...Je ne m'en souviens presque plus.

 

Leur cœur sera le linceul de toutes mes peurs.

Et bientôt le néant m’accueille, mais c’est d’un esprit serein que je tombe car ils m’ont promis que je serais enseveli dans ce cercueil, dans cette tombe.

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