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 Y a t-il des normes naturelles?

(Travail de licence)

 

 

A l'encontre de toute opinion reçue, je dirais qu'il n'y a pas d’antinomie à dire qu'il existe des normes naturelles.

Ce qui est naturel est ce qui est relatif à la nature d'une chose. Cela comprend aussi bien sa factualité que sa normativité : Une chose est, dans sa nature, ce qu'elle doit être de par son essence; sinon elle serait autre.

 

Une norme est toujours naturelle et la nature reçoit sa normativité de manière autonome : le fait qu'elle soit telle qu'elle est, est un facteur immédiat à ce qu'elle doit être.

Cependant, le problème de la notion de norme naturelle intervient lorsqu’il s'agit du Droit Naturel de l'homme.

Au delà du domaine ontologique (ce que doit être l'homme) la notion de norme naturelle implique aussi de définir ce que doit être son action, et comment il doit agir.

Et ce problème persiste lorsque l'on comprend que la normativité d'une action doit être édifiée en regard de la nature de l'acteur; or l'homme se comprend selon deux natures distinctes : l'état de nature ou la société.

Il est absurde de vouloir déterminer la nature de l'homme à partir de son état de nature.

En effet, soit l'homme à toujours été un homme social; soit l'homme à évolué en passant d'un état de nature à un état social, et donc sa nature s'est déplacée en même temps que lui dans la société.

Comme Léo Strauss le signalait justement (Droit naturel et histoire, "Crise du droit naturel moderne", 1953) "En analysant attentivement, Rousseau fut placé devant la nécessité d'abandonner [le droit naturel] complètement. Si l'état de nature est sous-humain, il est absurde de revenir à l'état de nature afin d'y trouver la norme humaine. »

 

Mais ainsi, si en définitive, l'homme est de nature sociale, c'est donc une nature construite, fabriquée, artificielle et surtout, collective.  La nature de l'homme est donc en perpétuel changement et n'est jamais la même au regard des différentes sociétés, ce qui lui condamne toute universalité de droit, donc toute normativité.

 

Est-ce donc possible de penser une normativité naturelle du droit sans qu'elle ne se fonde sur la nature même de l'homme?

C'est peut-être bien dans l'artificialité, la construction sociale que nous rencontrerons des normes éthiques, mais comment les comprendre comme "naturelles" si l'édifice de celles-ci comprend de l'historicité et donc une valeur temporelle et non universelle?

Il est évident à présent qu'on ne peut rencontrer de normes naturelles éthique à priori, malgré tout il faut bien remarquer que dans la pratique elles se ressentent, non pas dans les actes, mais dans la structure de ces actes. C'est ainsi que nous allons étudier non pas les fondements de celles-ci mais leur présence au sein de la réalité sociale.

Nous verrons comment la société peut être un facteur de normativité et en quoi elle est naturelle; nous verrons aussi si nous pouvons trouver un fondement des normes sociales et individuelles de l'homme par l'ontologie physique, et pour finir, nous verrons en quoi, même si elles n'existent pas, il faut pouvoir les penser.

 

 

I - De prime abord, même si l'on ne peut édifier des théories universelles de l'éthique, il semblerait que dans la pratique, la nature de chaque chose se met en place selon des normes contingentes. Et si nous ne pouvons pas connaître de normes naturelles à la nature de l'homme, il est concevable de connaître celles qui ne dépendent pas de lui, celles sur qui il peut porter un regard.

Même si, avant d'être un homme social, l'homme est avant tout un homme, ce caractère secondaire constituerait sûrement une source normative à sa nature d'homme social.

C'est ainsi que nous analyserons ce que pourraient-être les normes de la société, et pourquoi ensuite, sont-elles des normes naturelles pour l'homme.

Tout d'abord, nous ne définirons pas de normes de la société qui soient des règles juridiques (voler, tuer, etc) ou des conventions de bien séance (laisser sa place aux ainés, dire bonjour, etc).

En effet, même les plus répandues des ces règles qui pourraient prétendre à l'universalité sociétale (celles de ne pas commettre de meurtre ou de souffrance quelconque) ne sont pas respectées dans toutes les sociétés. En citant seulement quelques exemple parmi les pires crimes contre l'humanité, Il existait des cas où les sacrifices et la peine de mort étaient autorisés, il existe encore des cannibales, et même, que dire des guerres d'Etats!

 

Ainsi, ce qui peut constituer la normativité sociétale n'est peut être pas dans ce qui la constitue, mais comment elle est constituée. Pourquoi pas l'organisation?

 

En 1994, Didier Desor, enseignant-chercheur de la faculté de Nancy, réalisa une expérience sur l'organisation chez les rats qu'il nomma "Les rats plongeurs – expérience de différenciation sociale chez les rats". Il met six rats dans un cage mais l'accès à la nourriture est compromit par un bassin d'eau.

Lorsque les rats sont seuls, tous arrivent à rejoindre le distributeur sans exception, mais lorsqu'ils sont mis tous ensemble dans la cage, ils forment automatiquement des groupes de type :

  • deux exploiteurs (les plus menaçants, qui ne nagent pas et se contente d'obtenir leur nourriture par l’intermédiaire des exploités),

  • deux exploités (esclaves des exploiteurs, ils ne mangent que les miettes de ce qu'il leur ont apporté),

  • un nageur autonome (assez robuste pour ne pas céder aux exploiteurs),

  • un souffre douleur (incapable ni de nager, ni d'effrayer les exploités).

L'expérience est refaite de nombreuse fois et le même schéma se répète à l'identique. Le plus surprenant, c'est qu'en ayant présélectionné six rats, d'une même catégorie (six exploiteurs ou six exploités, etc), ils redéfinissent leurs rôles et recréent de nouveau le schéma initial.

 

Dans une société humaine, on retrouve ce même fonctionnement. Et même dans des sociétés anarchiques qui luttent contre un système hiérarchique, on décèle l'importance des rôles. Ceux-ci n'ont pas à placer les individus les uns au dessus des autres, mais quoi qu'il en soit, ils leur donnent une place

 

Si l'organisation fonctionne, c'est qu'elle doit fonctionner car la normativité d'une chose est définie par sa persévérance : une chose doit être ce qu'elle est dans ce qui lui permet de rester fidèle à sa nature le plus longtemps qu'elle puisse être.

Cependant, comment comprendre que les normes de la société puissent-être des normes naturelles pour l'homme?

Nous avons déjà dit précédemment que l'homme à l'état de nature est un mythe, ou du moins qu'il ne l'est plus dès qu'il appartient à une société.

Il n'y a pas de nature humaine qui ne soit complètement sociale : si un jour l'homme venait à naître hors d'un groupe social, alors il n'est pas "homme", il est autre. Ce n'est pas pour rien qu'il existe des classifications entre les animaux, et plus précisément dans le genre Homo. Car la nature de chaque espèce leur est propre : si l'on distingue l'Homo Habilis et l'Homo Sapiens, alors on doit distinguer l'homme social de l'homme à l'état de nature.

Mais ce qui nous faut comprendre, c'est pourquoi l'homme peut seulement adopter les normes sociales de par sa nature.

Ce qui caractérise la nature de toute chose, c'est évidemment la perfection (au sens Spinoziste), c'est à dire l’achèvement. Il est dans la nature de tout être de parvenir à son achèvement, c'est à dire de s’élever au meilleur de ce qu'il est.

S'il n'a pas comme nature celle de l'auto-destruction ou de la non-existence, il doit parvenir à tout faire pour persévérer dans le temps. Ainsi, ce qui caractérise tous les êtres vivants, c'est de vivre.

Or, l'homme est faible et peu résistant aux "injuries of the weather" (blessures/aléas du climat) énonce Hume (dans la section II du troisième livre du Traité de la nature humaine (1738). Déjà chez Platon (Protagoras, XI, 320 c-322 c), on comprend que l'homme est dépossédé de toutes armes pour affronter les monde :

Du temps où ils n'existait que les Dieu et non les espèces mortelles, Prométhée et Epitméthée furent chargés de distribuer aux êtres façonnés par les dieux les qualités appropriées. Cependant, récite Platon, "Epiméthée,..., avait,..., dépensé pour les animaux toutes les facultés dont ils disposait, et il lui restait la race humaine à pourvoir" (trad. E. Chambry). Ne sachant que faire, dans la précipitation du jour qui approchait, Prométhée vola à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu. Ainsi, l'homme dépourvu de capacité physique, se doit de puiser sa force dans les arts (particularité qui relève impérativement d'une communauté sociale, d'une historicité et d'un partage, d'une transmission qui ne peut avoir lieu qu'en société).

Aussi, Hume nous fait par de ce déséquilibre entre l'homme est ces autres créatures semblables ("fellow-creatures"), le lion qui a besoin de chasser sa nourriture possède des "armes" (des griffes, des crocs, de l'endurance,...) tandis que le mouton qui n'en n'a pas, peut se contenter de ne manger que de l'herbe.

L'homme lui possède les besoins des prédateurs mais n'a que les habilités des proies, ainsi "’Tis by society alone he is able to supply his defects, and raise himself up to an equality with his fellow-creatures, and even acquire a superiority above them" (c'est par la société seulement qu'il est capable de palier ses défauts..); car lorsqu'il est seul, soit il manque de force et se fait dévorer par ses ennemis, soit il manque de temps et ne peut se fabriquer des armes et des abris. La société n'est donc pas le remède aux faiblesses de l'homme, mais elle est sa nature propre puisque sans elle il ne saurait persévérer dans le temps.

 

Ainsi, voilà que même si l'on ne peut établir de normes naturelles à priori pour l'homme pour déterminer son action, l'histoire à montré que dans la construction sociétale, l'homme a aussi construit sa normativité en l'intégrant dans sa nature.

L'homme est donc de nature sociale et instaure, de par sa nature, des normes empiriques, celles de l'organisation. Cependant, ce caractère "empirique" pose une incertitude quand à la ténacité des ces normes. Si nous avons vu que l'organisation est bien la seule conduite possible de la société, elle n'a pas de fondement à priori, elle est purement contingente. N'y aurait-il pas d'autres sources créatrices de normes naturelles pour l'homme?

 

II - En effet, sans fondements, on ne peut véritablement parler de norme qui détermine les droits et les devoirs de l’homme. Cependant, si nous nous écartons toute rationalité, nous pouvons comprendre comment l'homme croit devoir agir par ses "pulsions instinctives" (nous entendons par là des passions qui ne soit pas révélées immédiatement à la conscience).

 

Si l'homme croit toujours agir de manière raisonnable, il se peut qu'il soit envahit par des instincts conformes à sa nature et qui l'amène à en déduire des normes naturelles.

C'est ainsi que nous commencerons par présenter les passions implacables qui pousse l'homme à agir : l'émotion ; et ensuite le processus mentale qui trompe l'homme dans sa quête de définir son action : la croyance.

Premièrement, il faut comprendre que la passion s'entend comme l'état où la volonté est passive (grec : pathos), et toutes les passions de l'âme (désir, crainte, tristesse, inquiétude...) puisent leur sources dans un seul et unique sentiment : le besoin d'harmonie.

 

Dans Le Père de nos pères (1998), Bernard Werber inclue un bref dialogue métaphorique qui est le suivant : "Un petit poisson dit à sa maman : "Il paraît que certains d'entre nous sont allés marcher sur terre. Qui sont-ils ?""Des insatisfaits", répond-elle."

Lorsqu'on nous rappelions précédemment qu'il était dans la nature des chose d'atteindre sa perfection, et par là même de persévérer dans le temps, cela semblait constituer la norme naturelle de toute chose.

Cependant, pourquoi considérer l'auto-destruction comme contre nature?

Cette évidence n'est-elle pas purement établie par la peur de la disparition de l'être?

Évidemment, la peur peut-être bénéfique quant à la preservation et/ou l'élévation d'un individu. 

La peur forge un bouclier de défense contre la mort.

C'est grâce à la peur de se faire dévorer ou de périr face aux causes naturelle que l'homo sapiens se força à lutter contre eux et à obtenir un autre niveau de confort de vie.

Mais le fait que l'homme doit agir pour sa survie constitue une norme absolue n'est pas dit. La seule cause qui puisse donner l'ordre de ne pas se détruire c'est le désir de vivre, qui peut se traduire par la négative : la peur de se détruire. 

Mais une passion ne peut devenir une norme, une passion est un sentiment (cf  la différence entre l'émotion et le sentiment), qui ne peut fonder de règle : il n'y a rien de plus confus, incompris et abstrait qu'une passion (cf Éthique III, définition générale des passions, Spinoza).

Deuxièmement, pour ce qui est des normes du métabolisme humain, c'est à dire ce qui touche l'autonomie du corps humain, tout est régit selon des lois biologiques. Ces lois sont des lois naturelles et fonctionnent selon une normativité naturelle qui leur est propre. Et ainsi, elles doivent agir de la sorte car il en est de leur factualité de ne pas être autrement.

Cependant, il arrive que la puissance de la croyance surmonte ces lois et instaure, au sein du métabolisme, une normativité falscifiée. Prenons le cas par exemple de l’hypocondriaque, qui devient malade parce qu'il croit qu'il l'est; du déni de grossesse, où la patiente refuse de croire qu'elle est enceinte et ses symptômes de grossesse n'apparaissent donc pas, ou bien encore de l'effet placebo, où un patient guérit car il croit qu'on lui a donné de vrais médicaments. Dans ces cas, le corps ne réagit plus à son environnement réel mais à la perception qu’il en a. L'imagination peut être source d'une normativité relative, mais qui reste bel et bien un leurre.

 

En définitive, nous ne pouvons trouver de fondement aux normes naturelles, même si elles existent de manière relative, car elle ne sont pas transcendante à l'homme mais construites et inventées. Mais pourquoi donc les chercher dans l'absolu de la nature humaine?

 

III - Voilà que nous condamnons toute normativité naturelle à l'éthique et à l'action humaine. Malgré tout, on la pense, et on ne peut s’empêcher de vouloir la penser.

Ce phénomène terrifiant de la conquête de quelque chose qui n'existe pas n'est pourtant pas absurde. En effet, il en est induit déjà par l'angoisse de la solitude dès lors que l'homme a besoin de partager ses opinions et à se dire qu'il n'est pas le seul à penser ainsi; mais surtout par la nature déséquilibrée de l'homme en quête de référence.

Déjà, la volonté de se ranger derrière la normativité plutôt que le choix infondé, impose à l'homme de croire en des normes coûte que coûte.

 

Prenons par exemple l'expérience de Asch en 1951. On choisit entre sept et neuf étudiants dont tous sont des complices, sauf un (l'étudiant "naïf"); on leur présente deux affiches, l'une avec une ligne de référence, l'autre avec trois lignes de tailles différentes : ils doivent juger de laquelle de ces trois lignes est identique à celle de référence. Les complices ont comme instruction de donner unanimement la bonne réponse jusqu'au troisième essais où ils donnent la même fausse réponse : le but étant de voir la réaction de l'étudiant naïf. Lorsqu'on répète l'expérience avec d'autres témoins, on s'aperçoit que 36,8% des étudiants naïfs, après hésitation, se conforment à l'idée générale de donner la mauvaise réponse au troisième essais.

Dans un autre expérience de Shérif en 1935, rapporte aussi le besoin de conformisme chez les hommes. On présente à des étudiants un mouvement lumineux, après quoi on leur demande d’évaluer de façon personnelle puis en groupe l’amplitude du « mouvement » pour ensuite reformuler une évaluation personnelle. Les résultat montre une "moyennisation" dans leur réponses, c'est à dire qu'ils organisaient leur réponse collectivement pour n'en formuler plus qu'une qui équilibrait toutes les réponses individuelles. Ici La norme est non seulement arbitraire mais elle n’a rien à voir avec la réalité objective, seulement les sujets avouent se sentir plus à l'aise quand ils sont dans des normes.

Croire en des normes rassure, et permet de se sentir moins seul, car s'accorder avec les autres c'est s'accorder avec soi-même.

Mais encore, c'est en comparant la nature de l'homme à celle des autres être vivants qu'on s'aperçoit qu'il est l'un des rare à constamment hésiter dans les choix qu'il a se conduire. Dans la nature, il existe deux types de comportement, celui qui assure la conservation de l'espèce (protection des plus faibles, sacrifice s'il faut protéger l'espèce) comme chez les fourmis ; et celui qui assure la perfection de l'espèce (élimine les plus faible) comme chez les lions. L'homme est perdu entre ces deux attitudes parce qu'il est individuel, il pense pour lui et non pour l'espèce, mais il est aussi empathique et généreux pour les siens.

De ce déséquilibre sociale qui le rend à la fois seul et à la fois inscrit dans une collectivité, naît ce besoin de chercher quelle voix adopter pour savoir ce qu'il doit faire. L'homme est un animal qui pense dans le temps, il doit donc pouvoir décider de ce qu'il doit faire avant d'agir, et il doit le décider selon ce qu'il croit être bien. Mais s'il apprend que ni le Bien ni le Mal existe dans l'absolu, il sera anéantit et incapable d'agir, il sera passif. Or, ne rien faire c'est ne pas exister. L'homme a donc besoin de croire en des normes, qui plus est, des normes naturelles, car s'il apprend que les seules normes existantes sont l’œuvre d'une machination, il ne pourra les prendre comme référence; il ne peut que croire en ce qui est véritablement et absolument juste.

 

Pour conclure, nous dirons alors qu'ils n'existent que des illusions quant aux normes naturelles; cependant il n'est pas insensé que de vouloir les connaître en tant qu'elles en seraient universelles et absolues. L'homme a besoin de croire en elles, et après tout, si elles existaient vraiment, nous ne nous poserions même pas la question de leur existence, elles serait évidentes et immédiates! 

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